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Les cisterciens,
une
"formidable épopée spirituelle" |
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Le contexte
Les vives critiques dont sont l'objet les moines de Cluny (richesses
excessives, relâchement de la discipline, éloignement de
la règle
de Saint Benoit, ...) débouchent sur le développement
de nouvelles communautés prônant le renoncement de soi et
la méditation. C'est dans ce contexte de retour aux principes fondamentaux
tels que les avait décrits Saint
Benoit qu'il faut situer les origines du mouvement cistercien.
Les débuts de Cîteaux
Après avoir été moine bénédictin (définition
de celui qui suit la
règle de Saint Benoit), prieur puis abbé du monastère
clunisien de Saint Michel à Tonnerre, Robert fonde en 1075 avec
un groupe d'ermites le monastère de Molesmes sur des terres offertes
par le seigneur de Maligny près de Châtillon-sur-Seine (entre
Chaumont et Auxerre). Très vite ce monastère a un rayonnement
considérable, les dons affluent et d'autres communautés
viennent s'affilier.
Mais le succès et la prospérité de l'établissement
l'éloignent de l'idéal monastique : Robert décide
en 1090 avec 21 moines bénédictins de Molesmes de
quitter cette opulente abbaye et de vivre en ermite pour pratiquer
la règle bénédictine dans sa teneur la plus
stricte. Il tente sans succès de rétablir 3 années
plus tard la règle bénédictine à Molesmes
avant de se faire concéder des terres marécageuses
et boisées en un lieu nommé "Cistels"
(nom qui deviendra par déformation Cîteaux) à
22km au sud de Dijon.
Il y crée avec l'aide précieuse d'Albéric
et d'Étienne Harding un nouveau monastère en 1098
en redéfinissant les normes concernant la pauvreté
individuelle, l'hospitalité et l'équilibre de la vie
monastique : les bases de l'ordre cistercien sont lancées
!
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Photo JFM : Statue de Robert de Molesmes,le fondateur de l'ordre
sur le site de Cîteaux (devant l'accueil)
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Mais il est reproché à Robert de ne pas avoir respecté
son voeu de stabilité : le Pape l'oblige à revenir à
Molesmes en 1099 et il confie l'abbatiat du nouveau monastère à
Albéric.
Ce dernier va se démarquer grâce aux faits suivants :
- il placera l'ordre sous la protection du Pape en 1100,
- il fera adopter à ses moines l'habit de laine écrue,
ce qui les fera qualifier de "moines blancs" en distinction
des "moines noirs" de Cluny,
- il fera consacrer la 1ère église sur le site de Cîteaux
en 1106 (voir la plaque qui commémore cet événement
ci-après).
L'organisation de l'ordre avec Etienne Harding
Albéric meurt en 1109 et Etienne Harding, co-fondateur de l'ordre,
est nommé abbé.
A cette époque, les moines vivent dans des bâtiments
miséreux et sont soumis à une rude ascèse :
de ce fait, les nouvelles vocations se font rares et l'établissement
se trouve dans le plus complet dénuement. Mais habile organisateur
(il emploiera des laïcs pour aider les moines devenus trop
vieux), administrateur expérimenté entretenant d'excellents
rapports avec les nobles seigneurs des environs, Etienne Harding
assurera une croissance spectaculaire à l'ordre pendant plus
de 25 ans.

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Photo JFM : Statue d'Etienne Harding
sur le site de Cîteaux
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Sous son abbatiat, l'ordre commence à essaimer et 4 abbayes-filles
de Cîteaux seront créées :
- La Ferté-sur-Grosne en 1113,
- Pontigny, près de Langres, en 1114,
- Clairvaux (dont le 1er abbé sera Bernard)
et Morimond près de Langres en 1115.
L'Ordre cistercien se caractérise par une organisation arborescente
: Cîteaux est le tronc principal d'où partent 4 branches
que sont les abbayes-filles ; chaque monastère peut à son
tour fonder des abbayes, ces dernières étant toujours rattachées
à l'une des lignées primitives. C'est ainsi qu'en 1119,
l'ordre comptera déjà 12 monastères.
Etienne rédige la Charte de Charité qu'il présente
au Pape Callixte II en vue de la reconnaissance de cette nouvelle branche
de moines bénédictins : c'est donc à lui que les
cisterciens doivent leur statut définitif.
La Charte de charité
Oeuvre capitale d'Étienne, la charte de charité est
la constitution de l'Ordre qui précise que la Règle
devra être comprise et observée par tous d'une seule
manière et que le mode de vie sera partout semblable. L'idée
de base est de laisser à chaque monastère son autonomie
pour encourager son expansion, tout en maintenant au-dessus de lui
une juridiction d'appel et de surveillance pour l'empêcher
de dévier.
La Charte de Charité décrit :
- les relations entre les abbayes, par exemple le fait que tout
monastère est indépendant, mais soumis au regard
de l'abbé de la maison qui l'a fondée et qui le
visitera au moins une fois par an,
- la notion de "Chapitre Général", réunion
de tous les abbés de l'Ordre, considéré comme
le gouvernement suprême de l'Ordre.
Cette organisation se distingue de celle de Cluny dans laquelle
l'abbé de Cluny est le chef de l'ordre et exerce une autorité
unique et suprême sur tous les monastères affiliés.
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A sa mort en 1133, Harding laissera un ordre comportant déjà
70 communautés, pour lesquelles il aura contribué à
leur organisation.
Bernard de Clairvaux : le maître spirituel
"Elevez-vous par l'humilité, telle est la voie ; il n'y
en a pas d'autres" - Saint Bernard
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Bernard naît en 1090 et est le fils d'un des seigneurs de
Fontaines situé à quelques kilomètres de Dijon.
Il bénéficie d'une éducation complète
en étudiant les trois disciplines fondamentales : la grammaire,
la rhétorique (art de bien parler) et la dialectique (art
de raisonner).
Attiré par la ferveur de ses moines, il rejoint le monastère
de Cîteaux en 1112 accompagné de 30 compagnons dont
4 de ses frères et 2 de ses oncles maternels.
Statue de Saint Bernard, église de Fontaine-lès-Dijon
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Doté d'une intelligence, d'un dynamisme et d'une sensibilité
exceptionnels, il assurera le véritable rayonnement à
l'ordre : sa force de conviction et sa notoriété attireront
de nombreuses vocations (par exemple, 60 postulants le suivront
après son prêche pour la 2ème croisade en 1147).
Il lui est confié à seulement 25 ans la charge de
créer l'abbaye de Clairvaux en 1115, 3ème abbaye fille
de Cîteaux et qui deviendra l'une des plus célèbres
abbayes. En 38 ans d'abbatiat, il contribue à la création
de 68 abbayes filles de Clairvaux, et sa filiation comptera 165
établissements !
Retable de Clairvaux, musée
des Beaux-Arts de Dijon
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Dénonciateur de l'ordre de Cluny :
il n'aura de cesse de critiquer :
- les écarts faits à la règle de Saint Benoit :
mets surabondants, coquetterie, habitudes et trains de vie princiers,
- le cadre de certains monastères, leur décoration somptueuse,
peintures ou sculptures évoquant des messages bibliques, qui
sont utiles au fidèle mais pas au moine.
Deux citations de Saint Bernard issue de son apologie à Guillaume
:
- "O vanité des vanités, mais plus insensée
encore que vaine : l'église resplendit sur ses murailles
et elle manque de tout dans ses pauvres".
- "Sans parler de l'immense élévation de vos
oratoires, de leur longueur démesurée, de leur largeur
excessive, de leur décoration somptueuse et de leurs peintures
plaisantes dont l'effet est d'attirer sur elles l'attention des
fidèles et de diminuer le recueillement".
Un personnage de 1er plan dans la vie médiévale
:
- il donnera aux templiers
les fondements de leur règle, qui concilie l'état
monastique et militaire (cette règle sera également
reprise par de nombreuses milices),
- il tentera de purifier le clergé séculier, rappelant
au besoin les devoirs des évêques,
- lors du schisme de 1130 provoqué par l'élection
de 2 Papes, il pacifiera la situation en ralliant les rois, princes
et évêques au Pape Innocent II
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1ère page de la règle du Temple |
A sa mort au milieu du XIIe, il laisse derrière lui plus de 160
moines à Clairvaux, l'ordre compte près de 350 abbayes et
la moitié des moines français sont cisterciens !
S'il n'est pas le fondateur de l'ordre de Cîteaux,
il aura été sa plus grande gloire et son maître spirituel.
Il sera canonisé en 1174 par le pape Alexandre III.
L'abbaye de Clairvaux
: (près de Langres)
Des divers bâtiments construits sur le site, il ne reste
que quelques éléments : l'église abbatiale
dans laquelle reposait Saint Bernard n'existe plus car elle a été
démolie au début du XIXe. Il reste quelques murs du
premier Clairvaux (le "Monasterium Vetus"), le splendide
bâtiment des convers et le grand cloître du Clairvaux
de la Renaissance. Le monastère a servi à divers usages,
avant de devenir au début du XIXe ce qu'il est encore aujourd'hui
: l'une des prisons centrales les mieux gardées de France
(elle accueille 150 prisonniers, tous condamnés à
de longues peines ou condamnés à perpétuité
sans date de sortie fixée).
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L'austérité de l'architecture cistercienne
L'architecture cistercienne s'est affirmée au XIIe, au moment
de l'épanouissement de l'art roman.
L'ordre prône une architecture austère, mais cette sobriété
et son dépouillement est l'expression d'une morale et du respect
de la théologie : le luxe et le faste sont bannis et tout élément
de décoration jugé superflu est supprimé (sculptures
ou peintures notamment). Seules des feuilles d'eau faisant référence
à l'origine de l'ordre sont fréquemment représentées
sur des chapiteaux. L'absence de clocher dans les églises des monastères
traduit très bien ce refus de toute marque ostentatoire de puissance.

Photo JFM : Panoramique de l'abbaye de Fontenay (près de Montbard)
En plus de la réussite spirituelle, l'ordre représente
aussi une réussite matérielle et esthétique dont
des chefs d'oeuvre nous sont parvenus comme témoignage de la foi
et de l'enthousiasme de ces moines médiévaux :
- équilibre parfait de la lumière au niveau du coeur,
du transept et de la nef,
- parfaite harmonie des masses et des volumes,
- refus de tout superflu qui accentue une magnifique sobriété.
Les abbayes, généralement implantées dans des sites
éloignés, sont toutes construites selon un modèle
similaire :
- le cloître est le pivot de
la vie des moines : il règle leurs déplacements,
rencontres et est un lieu de recueillement,
- au nord du cloître doit se trouver l'église,
Cloître de l'abbaye de Fontenay
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- le scriptorium : cette salle abrite principalement
les travaux d'écriture des manuscrits,
Exemples de lettrines dessinées
par des moines cisterciens (exposées à l'abbaye de Cîteaux)
- la salle capitulaire : le Chapitre,
qui permet d'arbitrer les décisions de la vie quotidienne,
se tient dans cette pièce sous la présidence de
l'Abbé. C'est un lieu d'expression pour les moines lorsque
l'Abbé leur accorde la parole (d'où l'expression
"avoir droit au chapitre")
- le dortoir : la règle impose
aux moines de dormir dans la même salle, sur une simple
paillasse à même le sol. Ils dormaient tout habillés
et se rendaient à l'église par un escalier qui y
accédait directement,
- le réfectoire : le silence
y était de rigueur, et le Prieur lisait un texte
Dortoir de
l'abbaye de Fontenay
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La magnifique abbaye
de Fontfroide
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Le pape Benoît XII (1334-1342), ancien
moine cistercien, est d'ailleurs à l'origine du "Palais
Vieux" d'Avignon : vaste et austère, cette oeuvre reflète
ses goûts sobres, caractéristiques de l'ordre des cicterciens.
La suite
Après l'expansion initiée par Bernard de Clairvaux, l'ordre
va continuer à croître : de 530 à la fin du XIIe,
les cisterciens compteront jusque 700 abbayes au XIIIe.
Mais différents facteurs vont perturber cette croissance exceptionnelle
:
- Enrichissement de l'ordre : les moines
cisterciens faisant preuve d'une exceptionnelle maîtrise des techniques
agricoles et métallurgiques, leurs abbayes vont devenir florissantes
et dégager des surplus qui seront commercialisés. A force
de tirer des bénéfices des commercialisations, certaines
abbayes vont se transformer en banques et deviennent créancières
de la société aristocratique. Cette introduction dans
le circuit économique et cette opulence les éloignera
des exigences de pauvreté, qui était à la base
de Cîteaux. Cet enrichissement favorisera entre autres le développement
des ordres
mendiants.
- Concurrence des ordres mendiants : ces
derniers attirent la plupart des vocations au détriment des ordres
traditionnels.
- Mise en cause de l'unité de l'ordre
: certaines abbayes tombent en léthargie, d'autres quittent la
congrégation, les relations entre mères-filles se distendent
et des libertés sont prises pour aménager la règle
primitive.
- Système de la commende : à
la fin du moyen-âge, le système de la commende retire aux
communautés le droit d'élire leur abbé au profit
du roi, du Pape ou de l'évêque : les établissements
perdent ainsi leur guide spirituel.
- Lois antireligieuses : les lois promulguées
pendant la révolution française portent un coup quasi
fatal à l'ordre.
Après la révolution, l'ordre réapparaîtra
progressivement et actuellement, l'ordre cistercien de la stricte observance
(OCSO) compte environ 2600 moines répartis dans près de
100 abbayes dans le monde dont 16 en France.
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